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Forger les contours de la nation : un accomplissement hémisphérique
Francois Bignon  1, 2, 3@  
1 : Centre de Recherches sur l'Action Politique en Europe  (ARENES)  -  Site web
Centre National de la Recherche Scientifique : UMR6051, École des Hautes Études en Santé Publique [EHESP], Institut d'Études Politiques [IEP] - Rennes, Universite de Rennes 1, Université de Rennes
104 Bvd Duchesse Anne 35700 RENNES -  France
2 : Université de Rennes 2  (UR2)  -  Site web
Université Rennes 2 - Haute Bretagne
Place du recteur Henri Le Moal - CS 24307 - 35043 Rennes cedex -  France
3 : Institut Français d'Etudes Andines  (IFEA)

Les débats historiographiques sur les continuités coloniales par-delà les indépendances se sont concentrés sur des aspects politiques et sociaux, mais ont rarement abordé de front la question du territoire et des frontières.

Pourtant, la première moitié du XXe siècle est le théâtre de la fixation des frontières sur une très grande partie du continent, par la négociation ou la violence. Ces différends frontaliers étaient justement hérités du découpage colonial ambigu et du partage conflictuel entre les jeunes républiques indépendantes. Cette fixation avait des implications territoriales mais aussi identitaires. Les frontières, définies dans les traitées et marquées au sol, séparaient désormais des groupes nationaux distincts (« Péruviens », « Équatoriens », « Paraguayens », etc.) là où les dynamiques transfrontalières et binationales étaient auparavant prégnantes. Les bureaucraties étatiques, notamment militaires, y trouvaient l'espace pour appliquer leur version de la nation. Les gouvernements pouvaient enfin intégrer des territoires autrefois disputés au répertoire des éléments constitutif du récit national.

La rapidité du processus qui trace en quelques décennies des frontières combattues pendant plus d'un siècle s'explique par le travail de coopération entre les experts du continent. Diplomates, géographes et militaires de l'ensemble du continent partageaient une même culture de la frontière développée dans le cadre de l'enracinement du panaméricanisme institutionnel. Ce processus relève donc de dynamiques hémisphériques plus que locales, et témoigne de circulations de savoirs et d'idées sur l'ensemble du continent, du nord et du sud. Les élites autant latinoaméricaines que nordaméricaine percevaient la nécessité de « faire frontière » comme l'accomplissement de la promesse des indépendances et de la modernité politique. Elles développèrent dans cette perspective un discours messianique proche de la « fin de l'histoire ».

À partir du cas principal du conflit frontalier entre le Pérou et l'Équateur, mais en faisant également référence aux autres différends de frontière dans la région (guerre du Chaco entre Bolivie et Paraguay, conflit de Leticia entre Colombie et Pérou, frontière entre le Honduras et le Nicaragua, Tacna et Arica entre le Pérou et le Chili), nous montrerons ainsi que le processus de frontiérisation permet de mettre en évidence la fin d'un cycle de formation territoriale et identitaire vers le milieu du XXe siècle. Autant dans les discours que sur le terrain, les nations latinoaméricaines pensèrent alors accéder à une deuxième indépendance.


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