Ateliers > Terrain d’étude, terrain d’entente ? Littérature, écriture et anthropologie aux Amériques : perspectives indigènes et disciplines en réinvention

« What does the ethnographer do ? He writes. » En 1973, Clifford Geertz énonce ainsi dans The Interpretation of Cultures la crise conceptuelle de l’anthropologie nord-américaine qui se fonde sur un brouillage disciplinaire entre anthropologie et littérature ; mais si l'anthropologie réfléchit sur sa littérarité, on est en droit de se demander ce que fait l'écrivain qui puise dans l'anthropologie. Bien sûr, cette relation n'est pas radicalement neuve aux Etats-Unis, et encore moins en Amérique Latine où la confusion des modalités discursives est à l'œuvre depuis la période coloniale: les chroniques des missionnaires ou les récits de captivité par exemple, sont des genres littéraires communs aux deux moitiés du continent mais apparus à différentes époques, qui rendent compte à leur manière des sociétés et mentalités indigènes. Ces enquêtes littéraires, puis les activités savantes des anthropologues, sont remises en cause par la naissance et l'essor de la littérature et de la théorie indigènes, dont un but avoué est de se libérer de « l’emprisonnement ethnographique » (Theorizing Native Studies, Andrea Smith et Audra Simpson eds.), et qui travaillent à défaire le statut local de la pensée indigène imposé par l’enquête ethnographique, pour lui donner une dimension globale. La littérature a donc le pouvoir de désarticuler la dichotomie anthropologique durablement établie dans cet immense continent d’exploration, entre sujet étudiant et objet d’étude : des figures ambivalentes essaiment aux deux Amériques dès le XVIe siècle, de chroniqueur métis, d'ethnologue indigène, ou de romancier anthropologue. Mais il faut aussi penser cette dichotomie à l'échelle des deux moitiés du continent: l'Amérique du Nord, tout comme les Européens, a depuis longtemps arpenté le Sud comme terrain d'enquête, et considéré ses habitants comme objets d'étude. Autant de développements qui brouillent la frontière entre vérité et fiction, entre discours savant et littérature, sur un continent où la problématique du franchissement des frontières – territoriales ou idéologiques, licite ou non – est inlassablement actuelle: l'anthropologie peut-elle être un modèle littéraire ? Que vaut la littérature comme enquête ? Plus de trente ans après le vœu exprimé par James Clifford de représenter l’autorité des informateurs (The Predicament of Culture, 1988), l’anthropologie des Amériques se réinvente autour de la notion de dialogue, voire de polyphonie, qui met à mal la hiérarchie des voix entre "sujet" et "objet"; ou en revenant aux leçons de l'écriture indigène, à sa représentation et à sa conceptualisation par les anthropologues, indigènes ou non, comme chez Scott Lyons (X-Marks, 2010) ou Pierre Déléage (Lettres Mortes, 2017). Entre mise en scène littéraire et représentation de l’écriture, dans quelle mesure la littérature offre-t-elle au discours anthropologique des moyens de se réinventer, et trouve-t-elle à son tour dans ce discours des façons de repenser sa propre in/scription ?

 

Jeudi 23 septembre de 9h00 à 11h00

Centre de Colloques, salle 5

 

Cet atelier est porté par : 

- Ysé Bourdon (University of Chicago)

- Mathilde Louette (LARCA – Université de Paris)

 

Interventions :

Patrick Imbert (Université d’Ottawa) – Différences entre l’analyse anthropologique des Inuits nomades par l’anthropologie et le recours à la "grounded normativity" dans le non-dualisme queer autochtone

Vinicius Maluly (Mondes Américains – EHESS) – Les autochtones selon Auguste de Saint-Hilaire : un territoire reparti

Julie Métais (LAMC – EHESS) – Les voix de l’ethnographie. Politiques des écritures sonores (Mexique)

Davide Tamburrini (Universidad Complutense de Madrid) – Recalling Memory to not Lose Identity : the Texcocan Pictographic Histories of the XVI Century

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