ÉCONOMIE POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE FACE AU CHOC SANITAIRE ET SOCIO-ÉCONOMIQUE DE LA COVID-19 DANS LES AMÉRIQUES
Mercredi 22 septembre de 14h45 à 16h45
Centre de Colloques, salle 2
Organisation: Thibaud Deguilhem (LADYSS – Université de Paris) et Sarah Rozenblum (University of Michigan)
Intervenants : Daniel Beland (McGill University), Mariely Lopez-Santana (George Mason University), Ricardo Velazquez Leyer (Universidad Iberoamericana of Mexico City)
Présentation : Bien que les pays américains aient été touchés de manière différenciée par les vagues de la pandémie depuis le mois de mars 2020, ils ont été rapidement considérés comme l’un des épicentres en nombre de contaminés, de décès mais aussi d’intensité du choc sur le tissu productif. Malgré une volonté d’intervention variable en fonction des compromis sociopolitiques nationaux, les profondes défaillances institutionnelles des États américains se sont découvertes jour après jour, laissant s’installer un dilemme insoutenable entre coûts sanitaires et coûts socio-économiques. Du côté sanitaire, plusieurs effets directs ont été observés : la défaillance de l’organisation administrative sur les territoires, la saturation extrêmement rapide des capacités hospitalières publiques et privées déjà très limitées avant la pandémie. Du côté de la crise socio-économique, les effets des différentes interventions décrétées lors des vagues successives sont multiples et cumulatifs : l’explosion du chômage et la contraction de l’activité économique, en particulier pour les travailleurs informels qui n’ont aucune compensation pour faire face, suivies rapidement par l’accroissement de la vulnérabilité et de la pauvreté allant jusqu’à la crise de la faim jusque dans les capitales en Amérique latine.
In fine, cette double crise à la fois directe et induite révèle les profondes faiblesses systémiques des politiques sociales et des systèmes de protection supportés par des compromis sociaux issus d’un long processus historique. De manière générale, les politiques publiques ont d’abord mis l’accent sur la libéralisation du secteur de la santé et de la protection sous l’effet des programmes d’ajustement structurel. La rétractation du système de protection sociale public et contributif s’opère en raison d’objectifs de bonne gouvernance de la dépense publique. Les conséquences de ce transfert du secteur public vers le secteur privé en Amérique sont sans appel. D’un côté, si l’essentiel de la population demeure couverte par un filet minimal d’assistance via un système contributif, vestige des modèles développementalistes, la couverture contre les risques sociaux se limite bien souvent à la santé et la prise en charge dans le secteur public est de piètre qualité. D’un autre côté, pour une minorité, ce sont les assurances et le secteur privé qui permettent de faire face plus efficacement à la multiplicité des risques et les ménages aisés obtiennent des prises en charge équivalente à celles du secteur privé en Europe. Conséquence de cette segmentation, les inégalités d’accès à une sécurité sociale sont fortes et supportent de nombreux biais, territoriaux notamment. Ainsi les modèles de capitalisme convergent dans les Amérique vers un état social limité, fragmenté et en contraction, laissant et/ou plongeant une grande part de la population dans des zones de vulnérabilité qui, en l’absence de protection et très souvent d’épargne privée, dépendent uniquement des revenus du travail obtenus à travers des emplois de mauvaise qualité les exposant d’autant au risque maladie, d’accident du travail et de turnover pour lesquels ils ne sont pas couverts (continuum entre informels et formels
sans protection). Ce phénomène de vulnérabilisation par l’exclusion des moyens de protection formels affecte plus spécifiquement les groupes les plus vulnérables sur le marché du travail : femmes ou groupes ethniques qui ont un accès limité aux différentes prises en charge nécessaires en cas de chocs. Face à l’impossibilité pour des États sociaux devenus de plus en plus faibles de pouvoir endiguer l’exclusion des plus pauvres, les politiques sociales et les systèmes de protections sont alors réintégrés et mis au service des stratégies de lutte contre la pauvreté et un ciblage « pro-poor ». Un redécoupage s’opère ainsi sur fond de contraction des dépenses sociales : les classes et catégories aisées sont incitées à recourir au marché quand les plus pauvres devraient bénéficier de transferts monétaires conditionnés ou non.
Les programmes de « cash transfers » se multiplient et sontconsidérés jusqu’au choc pandémique comme une solution de protection sociale peu coûteuse pour les Etats. Toute-fois, cette déconstructionprogressive à l’échelle a rendu les systèmes de santé structurellement vulnérables aux chocs et a réduit la capacité des pays à fournir des services universels. En mars 2020, les Etats américains avaient déjà une sécurité sociale contributive délabrée et fragile, un système segmenté et des protections parcellaires. Or, la mise en lumière des faiblesses de ces trajectoires dans les Amériques depuis le choc de la COVID-19 nous oblige à repenser radicalement les politiques sociales et les systèmes de protection. En tant qu’ensemble de médiation entre ordre économique, politique et domestique, la protection sociale est un des mécanismes clés de la cohésion sociale permettant ainsi de faire société. Ainsi, face à la crise profonde qui s’amorce et aux bouleversements à venir en raison des contextes institutionnels dans les pays américains, il nous semble nécessaire d’établir le bilan des systèmes et régimes sociaux dans la région avant d’engager une réflexion sur leur devenir dans un avenir post-COVID-19. En abordant la protection sociale au prisme de l’économie politique et sous l’angle comparatiste, c’est bien la question des régimes de sécurisation, des politiques sociales et des compromis socio-institutionnels autour de la protection sociale qui seront au cœur des échanges dans cette table ronde. Les présentations et discussions des participants se dérouleront autour de trois axes principaux :
• Comment les faiblesses des systèmes/régimes sociaux avant la COVID-19 peuvent-elles expliquer la magnitude du choc et de ses conséquences dans les Amériques ?
• Quelle place pour les programmes de « cash transfers » dans les politiques de protection sociale ? Paradoxalement, la COVID-19 a révélé la faiblesse des politiques de cash dans les Amériques incapables d’assurer un changement structurel et pourtant ces dernières, en tant que politique d’urgence, semblent être plus dominantes encore sur le design
des politiques sociales ou sur la réflexion autour des systèmes sociaux depuis mars 2020.
• Comment la COVID-19 a-t-elle affecté les compromis politiques nationaux en matière de protection sociale ? Le changement radical d’orientation politique aux Etats-Unis mais aussi la montée des contestations populaires en Colombie et au Chili ouvrent-ils la voie à une réflexion plus générale sur un nouveau pacte social dans les Amériques ?