Le rôle de l'Eglise Catholique dans le conflit de Belo Monte
Elimar Pinheiro Do Nascimento  1@  
1 : Centre de Development Durable de la Universite de Brasiia  (CDS/UnB)
Campus Darcy Ribeiro, Asa Norte, Brasilia, DF, -  Brésil

Le rôle de l'Église catholique dans le conflit sur la construction de la centrale hydroélectrique de Belo Monte, Pará, Brésil.

 

Elimar Pinheiro do Nascimento[1]

Silvio Marques[2]

 

Introduction

La centrale hydroélectrique de Belo Monte (UHBM), située sur les rives du fleuve Xingu, un affluent du fleuve Amazone, en Amazonie orientale, dans l'État du Pará, a une longue histoire de conflits. Elle s'inscrit dans la tradition brésilienne d'utilisation hydrique pour la production d'électricité et fait suite à la construction de grandes centrales en Amazonie. Actuellement, en 2019, 63,1% de l'électricité brésilienne proviennent de l'hydroélectricité (CASTILHO, 2019) et l'Amazonie est responsable pour 42,2% du potentiel hydroélectrique à exploiter (EPE, 2016).

En raison des impacts négatifs, surtout sur l'environnement et les populations locales (riverains, indigènes, pêcheurs, habitants de la périphérie urbaine, etc.), la construction de l'usine (UHBM) a fait l'objet d'un fort conflit qui a débuté au cours du gouvernement Figueiredo (1979-1985) et a traversé sept autres gouvernements et dure jusqu'à aujourd'hui (HALL, BRAFORD, 2012; FLEURY, ALMEIDA, 2013; FEARNSIDE, 2015; ATKINS, 2017 ; NASCIMENTO, DRUMMOND, 2003). Sous le gouvernement Sarney (1985-1989), un premier projet d'utilisation énergétique des eaux du fleuve Xingu (Kararaô) a été présenté, dont l'opposition a conduit le gouvernement suivant (Fernando Henrique Cardoso) à préparer un deuxième projet (Belo Monte), également soumis à de fortes résistances, mais qui a fini par être exécuté près de trois décennies plus tard, sous le gouvernement de Dilma Rousseff. 

Il existe une lacune dans la littérature existante, entre autres, concernant le rôle de l'Église Catholique face au projet de construction de l'UHBM (MAGALHÃES, 2007; MAGALHÃES, SANZ, 2015; FEARNSIDE, 2017; FLEURY, 2013; JAIHANDO; SAMPAIO, 2013; OLIVEIRA, COHN, 2014; FAINGUELERNT, 2017), bien qu'elle se reflète dans les médias (BORGES, 2011) et dans des rapports (BRUM, 2012 ; 2014), entre autres. Pour cette raison, cet article analyse le rôle que l'Église catholique, l'ancienne Prélature du Xingu[3] et aujourd'hui Diocèse du Xingu, a joué pendant plus d'un demi-siècle (1975/2020) dans la résistance à la construction de l'UHBM.

Pour l'élaboration de cet article, des documents officiels et la littérature spécialisée ont été consultés et un ensemble de 30 entretiens avec des acteurs locaux ont été réalisés. 

 

Contexte, trajectoire et nature du conflit autour de Belo Monte

Selon Carvalho (2006), McCormick (2010) et Bratman (2015), la construction de Belo Monte a été régie par un long conflit idéologique entre deux blocs d'acteurs : le bloc pro-barrage (rassemblant avant tout des acteurs étatiques et privés, avec le soutien de partis et de députés parlementaires) et le bloc anti-barrage (composé d'activistes locaux, nationaux et internationaux), qui subissent des changements tout au long du conflit. Nous partageons ici, avec Fleury et Almeida (2013, 141), la conception que la nature de ce conflit réside dans la confrontation entre deux conceptions du développement : le modèle capitaliste actuel et le modèle préservationniste, qui naît de la cosmovision et des intérêts des populations locales, en particulier les agriculteurs, les peuples autochtones, les riverains et les pêcheurs (FAINGUELERNT, 2013). Ces populations ont obtenu le soutien du mouvement environnemental brésilien, centré sur les luttes politiques pour préserver la nature et les modes de vie des peuples de la forêt (ALLEGRETTI, 2008), et des organisations et célébrités internationales. De plus, elles sont reconnues par la CDB (Convention sur la diversité biologique) comme des acteurs centraux de sa conservation (CUNHA, ALMEIDA, 2009).

L'histoire de la construction de barrages pour la production d'énergie au Brésil, et dans le monde, est pleine de signes contradictoires : effets bénéfiques pour ceux qui reçoivent de l'énergie et effets néfastes pour ceux qui sont déplacés, avec leurs activités économiques et modes de vie dégradés (BAGGIO, 2003 ; BARAÚNA, 2014 ; FUCHS, 2016) et sur la biodiversité locale (LEES et al, 2016). Il n'en va pas autrement dans le cas de l'UHBM, dont la préhistoire remonte aux années 1970, pendant le gouvernement militaire. C'est la crise pétrolière de 1973 (MAGALHAES, 2007) qui a conduit le gouvernement militaire à décider de réaliser des études d'utilisation hydroélectrique en Amazonie, y compris le bassin du fleuve Xingu, (ATKINS, 2017). Ces études ont abouti au projet de construction de 7 barrages sur le fleuve Xingu, dont le premier s'appelait Kararaô. Ce projet prévoyait l'inondation de plus de 18 000 km², atteignant sept mille Indiens, de 12 terres indigènes, en plus des groupes isolés de la région. (MOVIMENTO XINGU SEMPRE VIVO, s/d.; CASTRO, 2014 ; FEARNSIDE, 2017; JAICHANDO, SAMPAIO, 2013).

Dans les années 1980, les habitants vivant au long de la route transamazonienne ont commencé à se mobiliser face à l'abandon auquel les gouvernements les avaient condamnés, tant l'asphalte de la route n'avançait pas. Ainsi, des organisations d'agriculteurs familiaux, des enseignants des écoles publiques, des pastorales et des organisations catholiques, dont la Commission Pastorale de la Terre (CPT) et le Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI) ont créé en 1986/1987 le Mouvement pour la survie de la Transamazonienne – MPST, qui accueillera plus tard d'autres acteurs tels que les organisations riveraines, les peuples autochtones, les associations urbaines et des supporters, tels que des chercheurs, des étudiants, des politiciens. En raison des reportages de nouvelles du complexe hydroélectrique, en 2000, le mouvement change de nom et est rebaptisé Mouvement pour le développement de la Transamazonien et du Xingu – MDTX. L'année suivante, des syndicats ruraux, avec le soutien de militants des pastorales catholiques, créent la Fondation Viver, Preservar e Produzir (FVPP – Vivre, conserver et produire), soulignant la preocupation avec la production agricole (Entretien 18, professeure de l'UFPA).

La plus grande expression de résistance à ce projet a été la Rencontre des Peuples autochtones du fleuve Xingu, tenue à Altamira, en 1989. L'événement, qui s'est tenu à Casa Betânia - centre de rencontre de l'Église catholique, a réuni plus de 3 000 personnes, dont 650 Indiens, 300 écologistes, 150 journalistes et diverses autorités et politiciens, comme le directeur d'Eletronorte, société d'État responsable de l'exploration énergétique en Amazonie brésilienne, et le président de l'Institut brésilien pour l'environnement et les ressources naturelles renouvelables (IBAMA), organisme chargé d'octroyer des licences aux entreprises explorant les ressources en eau nationales. Lors de la réunion, le directeur d'Eletronorte, José Antônio Muniz, a présenté le projet du premier barrage appelé Kararaô, qui signifie « cri de guerre » en langue kaiapó, lorsque la femme indienne Tuíra lui a mis une machette au visage (ISA, 2010). La photo de l'événement a gagné les journaux du monde entier, comme signe de résistance indigène au complexe hydroélectrique du Xingu. Dans le même temps, l'évêque de l'ancienne prélature du Xingu, Don Erwin Kräutler, d'origine autrichienne, a rencontré des membres du sommet de la Banque Mondiale à Berne, en Suisse, s'assurant que l'entité ne financerait les travaux que si les conditions indigènes étaient respectées (KRÄUTLER, 2010).

En conséquence, le gouvernement a reculé. Un nouveau projet a commencé à être conçu, cherchant à satisfaire deux conditions : qu'il n'inonde pas directement les terres indigènes et qu'il contienne un lac plus petit (HERRERA, MOREIRA, 2013). Ce nouveau projet a pris forme dans les années 1990, avec la proposition de la centrale hydroélectrique de Belo Monte (UHBM), qui dispose de deux points de production d'énergie. La centrale électrique principale, construite à Sítio Belo Monte, au bout du grand coude du fleuve Xingu, qui dispose de 18 turbines hydrauliques de type Francis, d'une puissance installée totale de 11 000 MW et d'un débit total de 13 950 m³/s ; et la centrale électrique complémentaire, construite au début du grand coude du fleuve Xingu, à Sítio Pimental, qui dispose de six turbines à bulbe, avec une puissance installée totale de 233,1 MW. C'est une centrale au fil de l'eau, qui profite de la pente de près de 100 mètres entre le début et sa fin de la Grande Boucle du Xingu. Ainsi, la production d'énergie dépend de la pluviométrie de la région, qui est très variable, avec des précipitations abondantes pendant six mois et peu de pluie pendant la saison sèche. Ainsi, bien que la puissance énergétique installée soit de 11 233,1 MW, la puissance moyenne est de 4 500 MW (ELETRONORTE, 2009 ; FLEURY, 2013 ; KELMAN, 2008 ; LEME ENGENHARIA LTDA, 2009). Un fait qui a conduit de nombreux experts à s'interroger sur sa viabilité.

La panne d'électricité qu'a connue le Brésil en 2000/2001 a accéléré le processus de construction de l'UHBM, sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002). Ainsi, en 2000, l'étude d'impact environnemental (EIE) de l'UHBM a commencé par l'Université fédérale du Pará. (NASCIMENTO, 2011). En 2002, celui-ci a été interrompue par l'action du Ministère Public du Pará, grâce aux plaintes déposées par les mouvements sociaux locaux, avec le soutien de la Prélature (MPF, 2020). Cette étude n'a été poursuivie qu'en 2005 avec l'autorisation expresse du Congrès. Deux ans plus tard, l'IBAMA a lancé des réunions publiques formelles, mais peu participatives, autour de l'EIE. À plusieurs reprises, cette étude de faisabilité, et d'autres qui l'ont suivie, ainsi que les licences environnementales successives, ont été suspendues par intervention légale, dans des actions promues par le Ministère Public du Pará (plus de 20, dont 12 contre les licences environnementales) (NOGUEIRA, 2014).

Pendant le gouvernement de Luiz Inácio da Silva (2003-2010), la priorité de la construction de l'UHBM n'était pas claire, car lors de la campagne électorale, il s'est déclaré contre la construction de Belo Monte. Plusieurs facteurs, résultant des mesures adoptées pour faire face au « black-out » de 2001 ont donné l'impression d'un « surplus énergétique », mettant la priorité de Belo Monte en question, bien que les procédures se soient poursuivies (TAROCO, 2020). Dans le même temps, le gouvernement fédéral a commencé à étudier des alternatives pour de nouvelles centrales électriques, en particulier autour des fleuves Madeira et Tapajós. Cependant, en 2007, avec le Programme d'Accélération de la Croissance (PAC), la priorité de l'UHBM est revenue à l'ordre du jour (PAC, 2015).

En 2008, le gouvernement a dû signaler un repli pour refroidir la résistance des mouvements sociaux ou au moins la diviser, une stratégie utilisée depuis le début des affrontements, déclarant qu'une seule usine, l'UHBM, serait construite, au lieu du complexe prévu par l'inventaire des années 1980. En 2009, l'EIE et le Rapport d'Impact Environnemental sont remis à l'IBAMA (FVPP, 2006). Cette même année, la scission du mouvement de résistance devient explicite et définitive. Le PT et certains syndicats ruraux sont d'un côté, ne s'opposant plus au projet et, de l'autre, opposés à l'UHBM, le Mouvement Xingu Vivo para Sempre (MXVS). Constituée de 250 organisations, ses composantes sont avant tout des organisations territoriales, des communautés traditionnelles, des pêcheurs, des riverains, des mouvements de femmes, des travailleurs et des habitants de la périphérie urbaine (MOVIMENTO XINGU VIVO PARA SEMPRE, s/d) appuyés par des ONG nationales, telles que ISA, et internationales, comme International Rivers (FLEURY, ALMEIDA, 2013). La plupart de ses membres sont issus de l'Eglise Catholique. En février 2010, malgré des mouvements contraires, l'IBAMA a délivré la licence de faisabilité préliminaire (CHOUERI; NASCIMENTO, 2019), et, en avril, la vente aux enchères de l'UHBM a eu lieu, qui s'est terminée en 10 minutes, au milieu de nombreuses manifestations à Brasilia. L'appel d'offres a été remporté par Norte Energia, consortium formé d'un groupe d'entreprises et de fonds, dont trois entreprises publiques (Eletronorte, Chesf et Centrais Elétricas Brasileiras S/A) détiennent 49,98%. Le projet a été essentiellement financé par des ressources publiques provenant des fonds de pension et de la BNDES, mais par décision du gouvernement fédéral, son contrôle est remis au secteur privé (HALL, BANFORD, 2012).

L'année suivante (01/06/2011), déjà sous le gouvernement de Dilma Rousseff, l'IBAMA a délivré une licence d'installation (LI n° 795/2011), en commençant la construction de l'usine. Les mouvements sociaux n'ont cependant pas accepté les faits. Plusieurs manifestations ont eu lieu à Brasilia, Altamira et sur des chantiers de construction (ROSCOCHE, VALERIUS, 2014). Et des actions en justice ont été mises en œuvre pour entraver l'avancement des travaux. En juillet de la même année, la construction de l'UHBM a commencé dans les villes d'Altamira (siège), de Vitória do Xingu et de José Porfírio. L'année suivante, parallèlement à la Conférence des Nations Unies, (Rio+20), la réunion Xingu+23 s'est tenue pour protester contre la construction de l'UHBM aux endroits où les barrages du fleuve Xingu étaient construits. Pêcheurs, riverains, petits agriculteurs, indigènes, universitaires, agents pastoraux, militants locaux et autres défenseurs du Xingu se sont mobilisés pour marquer les 23 ans de la première victoire des peuples contre le projet de barrage du fleuve en 1989 (FLEURY, ALMEIDA, 2013).

Malgré les résistances et les protestations, le gouvernement n'a pas cédé et la centrale a commencé à fonctionner, sous forme de test, en décembre 2015. L'année suivante le processus de remplissage des réservoirs est terminé et l'exploration commerciale commence. En 2019, les travaux ont été achevés et, pour la troisième fois, l'usine a été inaugurée, cette fois-ci par le président Jair Bolsonaro (JORNAL NACIONAL, 2019).

De la conception de l'UHBM à l'achèvement des travaux en 2019, la valeur de l'usine a énormément varié. Initialement, le coût était de 7,51 milliards de reais (ELETRONORTE 2002), mais, au final, les dépenses se sont élevées à 30 milliards de reais (un prix de 800 millions de dollars, selon le devis du 26/06/2021) (HALL, BANFORD, 2012 ; SOUZA JUNIOR, REID, LEITAO, 2006, PINTO, 2021) .

 

L'Église catholique et la prélature du Xingu 

L'arrivée de l'Église catholique (EC) dans la région d'Altamira remonte au XVIIe siècle au cours de la mission jésuite qui créa le village de Tavaquara. La présence de l'EC a gagné en visibilité dans les années 1970 lors des conflits sur la Transamazonienne, qui ont entraîné la mort de centaines d'indiens. Selon Suess (2009), l'histoire de la présence de l'Église dans les conflits socio-environnementaux en Amazonie date de cette période.

Conçue en termes civils, EC s'agit d'une institution dotée de personnalité juridique, organisée géographiquement, suivant la hiérarchie, en communautés, paroisses et prélatures ou diocèses.. La Prélature du Xingu a été créée en 1934 par la Bulle “Animarum Bonum Postulat”, du Pape Pie XI. Son dirigeant le plus éminent était l'évêque Erwin Kräutler, responsable de la prélature de 1981 à 2016, mais il habitait la région depuis 1965, lorsqu'il est arrivé d'Autriche, où il venait d'être ordonné prêtre. La prélature s'étendait sur 368.092 kilomètres carrés, comptant 15 paroisses et 786 communautés en 2018, avant d'être remplacée par le diocèse du Xingu. Une superficie plus grande que des pays comme l'Italie et l'Allemagne (PONTIFICIAS OBRAS MISSIONÁRIAS, 2017). 

La cosmovision de la Prélature est liée au mouvement de renouveau de l'Église catholique (EC) qui s'est produit avec l'avènement du Pape Jean XXIII au siège pétrinien. Dans son discours inaugural (1958), ainsi qu'à l'ouverture du Concile Vatican II (1962-1965), il déclare qu'il ouvrira les fenêtres de l'église pour qu'elle puisse voir le monde et que le monde puisse voir ce qui se passe à l'intérieur (ALBERIGO, 1989; BENIGNI, 2000; JOAO XVIII, 1962). Le Concile Vatican II a reformulé toute l'identité de l'Église dans ce qu'on a appelé un nouvel aggiornamento[4]. 

La dimension sociopolitique et religieuse de la Prélature du Xingu repose sur la doctrine qui émerge du Concile Vatican II, et se reflète en Amérique latine, dans les Conférences épiscopales, au Brésil, lors des Assemblées Annuelles de la CNBB depuis 1966 (CELAM, 2020). Elle pénètre en Amazonie à travers les Rencontres des Evêques d'Amazonie. Cette dynamique se reflète clairement dans les rapports des Assemblées du Peuple de Dieu (APD), réalisées par la Prélature (DIOCÈSE DU XINGU, 1984), organe qui évalue et planifie l'action de l'Église. L'évêque, des prêtres, des religieuses, des laïcs, des coordinateurs des communautés ecclésiales de base, des pastorales et des mouvements ecclésiaux sont les invités à ces grands événements, ainsi que des institutions de la société civile. Ces assemblées se tiennent tous les cinq ans depuis 1984, toujours dans la même maison, où etait accueilli les participants de la Première Rencontre des Peuples Indigènes du Xingu en 1989. Les assemblées rassemblent en moyenne 650 personnes ou un peu plus. La méthode utilisée pour conduire la rencontre est la même que celle utilisée par le CELAM: « Voir, Juger et Agir » (BARAUSSE, 2013). Le concept le plus pertinent de ces événements est la définition de l'Église comme Peuple de Dieu, et la vocation aux pauvres, qui en Amérique latine conduira à la Théologie de la Libération. (CONSTITUIÇÃO PASTORAL GAUDIUN ET SPES, 1997; CNBB, 2016; RATZINGER, 1969; SMMELROTH, 1965).

 

L'Église catholique dans les conflits de Belo Monte

Non seulement les documents écrits, mais surtout la population locale reconnait la pertinence du rôle joué par l'EC dans la résistance à la construction de Belo Monte. Lors de la recherche de terrain, 30 entretiens semi-directifs ont été menés avec des leaders sociaux reconnus de la région en 2019. Il était demandé si l'Église catholique a-t-elle de l'importance dans le conflit autour de Belo MonteLes réponses ont réunie 90,3% des assertives confirmant l'importance de la participation d'EC; 6,3% des répondants ont répondu qu'en partie oui; et 3,3% ont répondu qu'elle en a eu beaucoup, mais de façon négative, car elle gênait l'entreprise. La prépondérance de l'Église catholique dans la lutte contre Belo Monte est présente de manière exemplaire dans le discours d'un chercheur de l'UFPA du pôle Altamira:

Elle a construit cette lutte, elle l'a soutenue et parce qu'elle avait un réseau que personne n'avait, le réseau des Communautés Ecclésiales de Base. Elle était le réseau le plus efficace. Nous n'avions pas de communication, les routes étaient mauvaises. Quelles étaient les personnes qui ont le plus marché sur les routes transversales ? Les prêtres, avec les religieuses. (Professeur des Universités, Altamira, 2019, Entretien n°14)

Dans un autre entretien avec un leader du mouvement social à Altamira, il parle de cette importance:

Très importante. Vraiment très importante. Donc, ceci a renforcé les CEB, a renforcé les syndicats, toutes les organisations ont été renforcées grâce au soutien de l'Église. Avec Dom Erwin l'Église catholique a joue un grand rôle : le rôle de la dénonciation, de nommer le conflit, car les causes de ces conflits ont un nom et une adresse. (Leader du mouvement social, 2019, Altamira, entretien N.02)

Dans les conflits de Belo Monte, l'Église est un acteur central dans le domaine de la « soutenabilité » (durabilité), ayant l'objectif de protéger la nature, le fleuve et les populations les plus vulnérables socialement. L'EC s'est opposée à la construction de toute centrale électrique sur le fleuve Xingu depuis les années 1970, plus particulièrement après la prise de fonction de Dom Erwin à la tête de la Prélature du Xingu en 1984. Ce sentiment de défendre la préservation du fleuve découle de l'expérience de la construction de la Transamazonienne, au cours de laquelle des dizaines sinon des centaines d'indiens ont été exterminés et le gouvernement n'a pas fourni l'assistance promise aux populations migrantes installées le long de l'autoroute. Jusqu'en 2000 certaines villes et villages le long de la route n'avaient pas d'assistance médicale et la communication était réduite au mieux à un téléphone public.[5]. 

La lutte de la Prélature contre la construction de centrales électriques sur le fleuve Xingu s'est déroulée, pour l'essentiel, dans trois espaces différents : auprès des instances de décision des projets hydroélectriques, avec les populations locales et avec le Ministère Public et la magistrature, pendant trois périodes.

Au long de la première période de la trajectoire de l'UHBM (1974-1989), l'Église a , mis sa structure physique à disposition pour accueillir la rencontre de 1989; a formé l'équipe pour organiser l'événement et a mobilisé ses fidèles ( BRUM, 2012). Le soutien de l'EC aux peuples indigènes a été décisif pour le retrait du gouvernement. 

Toujours pendant la première période du conflit, les effectifs de la Prélature et ses pastorales se sont mobilisés pour créer les mouvements sociaux : le MPST en 1986, le FVPP en 1990 et le MDTX en 2000 (SOUZA, 2006, HENCHEN, 2012). Il était clair que le mouvement social avait deux fronts de lutte, organiquement liés, l'un, pour empêcher la construction de centrales hydroélectriques dans le Xingu et l'autre, pour développer la région sur la base de la petite production familiale.

La stratégie de cooptation du gouvernement a atteint l'EC qui a résisté, ce qui n'est pas arrivé à d'autres secteurs. Pendant la deuxième période du conflit (1990-2002), Dom Erwin est invité à Brasilia par l'Ing. Antônio Muniz, alors directeur par intérim de la Direction nationale du développement énergétique (DND/MME), pour tenter de le convaincre de soutenir le projet[6]. Personne ne « s'écarta » de sa position (MME, 2002). 

D'ailleurs, les relations de l'EC avec le gouvernement ont toujours été tendues depuis les années 1980, lorsque Dom Erwin a été arrêté pour avoir soutenu la grève des travailleurs de la canne à sucre (1983). Rappelons également que le 25 août 2000, Ademir Federicci, alors président du Mouvement de développement de la route transamazonienne et du Xingu(MDTX) a été brutalement assassiné. Fredericci était un migrant arrivé dans la région en 1975. Catholique, il a été coordonnateur de la pastorale des jeunes de la Prélature. (FUNDO DEMA, 2014).

Tout au long de cette deuxième période, l'EC a participé au grand front contre le projet, en instruisant les communautés et les organisations locales à entraver les actions d'Eletronorte, surtout en recourant au Ministère Public Fédéral. Le gouvernement fédéral, en raison du nouveau projet, ne s'attendait pas à une opposition aussi féroce. 

Par conséquent, le premier rôle joué par les organismes de l'EC a été de soutenir techniquement les mouvements sociaux dans leurs revendications auprès du Ministère Public Fédéral. Le second est de mobiliser et d'accueillir les peuples autochtones, riverains, pêcheurs, agriculteurs et travailleurs ruraux. Le témoignage du procureur du MPF, Felício Pontes (2011), est illustratif en ce sens: « Chaque fois qu'un projet arrivait avec le soutien de l'Église, nous savions déjà qu'il était bien fondé ».[7]

Pendant la troisième période (2003-2015), les relations de l'EC avec le gouvernement fédéral semblaient différentes, puisque le président était Lula, dont les catholiques de la prélature étaient généralement des électeurs, et dont les dirigeants, des défenseurs. Le report de la priorité de Belo Monte en raison de l'évolution de la situation énergétique et de l'alternative de construire des centrales hydroélectriques sur les fleuves Madeira, Santo Antônio et Jirau, constituait un cadre favorable. De plus, l'écologiste Marina Silva était ministre de l'environnement. Les procédures de report de l'étude des impacts environnementaux avançaient lentement dans le système judiciaire et des politiciens sympathiques au mouvement environnemental ont levé le drapeau constitutionnel, exigeant que les peuples autochtones soient entendus sur le projet.

Un autre espace de manifestation du conflit résidait dans les audiences publiques très contestées qui couvraient toute la troisième période, surtout après 2007. Il existe plusieurs études qui montrent qu'elles n'ont pas respecté les critères établis pour leur légalité, même sur décision de justice (CASTRO, 2014). Aucune des audiences publiques n'a respecté le droit à la participation et à une information adéquate. Selon l'Instituto Socioambiental - ISA, par exemple, en septembre 2009, l'EIA/Rima n'a été rendue disponible que deux jours avant la première audition (ISA, 2010). Les audiences se sont toujours tenues dans de petits espaces. Le Ministère Public de l'État (MPE), le Ministère Public Fédéral (MPF), le Bureau de défenseurs publics de l'État (DFE) et le Bureau de défenseurs publics fédéraux (DPU) ont tenté, en vain, de changer le lieu de la réunion 

L'Église a participé à ces audiences de deux manières: d'abord en mobilisant la population et en amenant le plus grand nombre de personnes affectées par le projet à ces réunions, et ensuite en organisant des réunions pour préparer leur participation et, à l'occasion, en présentant ses objections par des spécialistes qu'elle a invités 

Les audiences publiques ont été un véritable champ de bataille. Selon un prêtre qui a aidé à la résistance: 

L'implantation (de l'UHBM) a été faite à la hâte, ils sont venus ici et ont tenu des audiences et ont rempli les gens d'illusions. Oh mon Dieu! Il y a eu des audiences qui sont devenues un vrai champ de bataille, vous ne pouvez pas savoir ? J' y ai participé, puis je suis parti, parce que c'était de la pure diablerie. Il y avait l'armée et tout (Entretien n°5). 

Comme analysé par Barros et Ravena (2011), dans ces audiences publiques les acteurs des mouvements sociaux et autres organisations opposées à la construction de Belo Monte ne pouvaient s'exprimer, le seul espace était les médias nationaux et internationaux qui accompagnaient ces événements. De la participation à ces événements, l'évêque raconte: 

dans les audiences dites « publiques », la vérité n'est pas dite, et il n'y a pas non plus de possibilité réelle pour les gens d'exprimer leurs doutes, de se renseigner et de présenter des critiques [...] ils font simplement partie du rituel dans lequel les envoyés d'Eletrobrás ou du gouvernement récitent un chapelet d'avantages et de bénéfices » (SUESS, 2009, p. 119).

Les contacts avec le gouvernement du PT ont toujours été tendus. Dilma, chargée de la Maison Civile, lors d'une réunion à Brasilia en 2004, s'est limitée à taper du poing sur la table et à dire que l'UHBM serait de toute façon mise en œuvre, comme l'ont raconté plusieurs personnes présentes à cette table de négociation (BRUM, 2016). Mais Lula a maintenu une position plus souple. Malgré la scission locale du bloc de résistance, l'EC a poursuivi les négociations avec le gouvernement du PT. En 2009, il y a eu deux réunions. La première, le 19 mars 2009, Lula a assuré que le projet ne serait pas imposé "par la force". Dom Erwin a insisté pour qu'il écoute les gens. La seconde, le 22 juin, s'est tenue dans la capitale fédérale : l'évêque, le coordinateur du Mouvement Xingu Vivo Sempre - MXVPS, Antônia Melo, deux indigènes, un enseignant-chercheur et deux avocats de la République et, de l'autre côté, les représentants du secteur de l'énergie. Comme le raconte l'évêque (BRUM, 2012), avant la présence de Lula. A l'issue de la réunion, il a été décidé que le dialogue devait se poursuivre. 

Le dialogue, cependant, ne s'est pas poursuivi. Lors de deux tentatives à Brasilia et à Altamira, les mouvements d'opposition n'ont plus été reçus par le président Lula (A TARDE, 2010). A Altamira, il est allé jusqu'à dire que le groupe qui manifestait contre le projet, dont l'évêque, « était une demi-douzaine de jeunes bien intentionnés" (INTERNATIONAL RIVERS, 2010; SAVARÈSE, 2010). Ce moment était emblématique car la gouverneure de l'État du Pará, Ana Júlia Carepa, également du PT, qui était auparavant contre le projet, était présente à la rencontre.  International Rivers (2010) a publié une note sur cette visite intitulée: « Un puissant appareil de répression, composé par la Force Nationale, la Troupe anti-émeutes et la Police Militaire, a empêché un groupe de manifestants d'environ 400 riverains, petits agriculteurs, étudiants et enseignants contre le barrage de Belo Monte d'approcher le président Lula cette semaine, à Altamira ». En conséquence, une pétition contre la construction de l'usine a été signée par le Mouvement Xingu Vivo para Sempre et 17 autres mouvements.

Barros et Ravena (2011), Teodoro (2012) et Arini (2013), spécialistes des médias sur la couverture journalistique de Belo Monte, indiquent que le conflit a dépassé les limites d'une discussion locale sur le projet et à atteint les niveaux national et international. Un des exemples, ce sont deux pièces publicitaires qui ont été très discutées en 2011 (Gota d'agua e Tempestade em copo d'água). (MELLO et SANTOS, 2014).

Dans les médias, le conflit tourne autour de ce que Locatelli (2015) appelle des barrages imaginaires. La dispute prend place dans la construction discursive élaborée par les acteurs impliqués. Leurs discours sont porteurs d'une multiplicité de sens, toujours pour tenter de convaincre l'opinion publique que le projet est viable ou irréalisable. Une fois de plus, l'Église est présente sur la scène médiatique de ces affrontements. Sur TV Liberal, filiale d'O Globo au Pará, ceux qui s'expriment toujours contre le projet sont Dom Erwin, Antônia Melo ou un procureur. (SUESS, 2009). 

Selon Elvira Lobato (2019), la couverture locale du projet de Belo Monte jusqu'à l'inauguration de la centrale hydroélectrique a été favorable au projet, en raison des intérêts financière des médias. Dom Erwin a toujours été un critique des médias, qui, selon lui, avaient un « potentiel sous-utilisé, ou utilisé pour véhiculer des nouvelles étranges » (LOBATO, 2019). Pour Barros et Ravena (2011), la lutte des acteurs dans le domaine médiatique passe par l'interférence de groupes de pression. La seule chaîne de télévision contre le projet, avant et après le projet, a été TV Canção Nova(Nouvelle chanson) qui appartenait localement à la Prélature du Xingu elle-même. 

Le dernier espace de participation de l'EC au conflit a été celui des manifestations qui se sont propagées dans tout le pays: marches, occupation de bâtiments publics, barrage routier, occupation du chantier (AGÊNCIA BRASIL, 2011; CARVALHO, 2006 ; MELO, 2021). Lors de ces événements, l'EC a toujours été présente à travers l'évêque, les prêtres et les responsables des communautés catholiques. Un moment fort a été la présence de congrégations religieuses*: Franciscains de la Pénitence et de la Charité chrétienne, Franciscains Ingostat et Précieux Sang du Christ.

La position intransigeante de l'EC contre Belo Monte lui a valu opposition et des persécutions, ainsi que les menaces, par exemple, du coordinateur régional du Secrétariat de l'Agriculture du Pará à Altamira (Dino Barile) qui a declaré: « La centrale hydroélectrique va être construite, qu'un prêtre ou qu'une religieuse le veuillent ou pas, et que le diable les emporte » (MPF, 2006 apud JUSBRASIL, 2006). Dans la même lettre officielle du MPF (2006), la menace de mort subie par l'évêque Erwin Kräutler, fixée au 29 décembre 2006, est rapportée. Depuis lors, il est accompagné de gardes de sécurité 24 heures sur 24 pour empêcher son assassinat.

Les protestations ont continué. Le portail G1 d'O Globo a publié (AGÊNCIA BRASIL, 2011) l'un de ces événements, mettant en évidence le rôle de Dom Erwin: « L'interruption de Belo Monte est commandée par un évêque" (BORGES, 2011). Les nouvelles ont rapporté que le chantier de construction a été repris par plus de 200 indigènes dirigés par Dom Erwin Kräutler. 

La situation des communautés affectées par les barrages est beaucoup plus complexe que ne le disent les rapports officiels. Il y a une nette différence entre ce qui a été promis et ce qui a été accompli dans les plans de gestion socio-environnementale des projets hydroélectriques en Amazonie. Au Xingu, cela n'a pas été différent. Les rapports de pouvoir sont asymétriques. Le harcèlement des populations appauvries est inhérent aux rapports de force asymétriques entre les acteurs en jeu (ROTHAMN, 2008). Magalhães et Cunha (2017) soulignent cette dynamique lorsqu'ils analysent les différents mécanismes d'expulsion des riverains de Belo Monte. Les entretiens de recherche confirment comment cette asymétrie se produit. À son tour, le procureur régional du MPF (PONTES, 2011) rapporte les menaces et les agressions des défenseurs de l'Entreprise. 

 

CONCLUSIONS

L'UHBM a créé un champ de conflits tendus en Amazonie. Il s'agissait de conflits aux formes les plus diverses autour de la propriété foncière, de l'usage de l'eau, de l'accès au logement, au travail, à l'éducation, à la santé et à l'assainissement de base, mais qui se limitaient à la confrontation entre deux conceptions du développement. 

Il est clair que le rôle de l'EC dans les conflits socio-environnementaux en Amazonie devient important lorsqu'elle choisit de s'engager dans la formation intégrale de son personnel et dans la mobilisation des populations les plus vulnérables socialement, des peuples autochtones aux populations de la périphérie urbaine, y compris les agriculteurs, les populations riveraines et les pêcheurs. Le rôle dans la formation d'agents communautaires capables d'assumer et de diriger les mouvements sociaux dans la région était d'une importance fondamentale pour consolider cette position, située parmi les mouvements les plus organisés d'Amazonie. Ce sont les actions de ces agents ecclésiaux qui ont donné une pertinence politique à la participation de l'Église catholique aux conflits à Belo Monte et qui ont réussi à reporter la mise en œuvre de l'UHBM pendant près de trois décennies. Mais, le rôle du prélat Dom Erwin est incontestable. L'expérience de la construction de la Transamazonienne et celle des organisations paysannes a contribué à cela. 

Le conflit persiste dans la région en ce qui concerne l'application des conditions des permis d'exploitation de l'entreprise, l'indemnisation des personnes affectées par le Barrage et la préservation de la vie dans la grande boucle du Xingu.

 

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[1]Docteur en sociologie, Université Descartes Paris, professeur aux programmes doctoraux du Centre de Développement Durable de l'Université de Brasilia et du Centre de Sciences de l'Environnement et Développement Durable en Amazonie de l'Université Fédérale de l'État de l'Amazonas.

[2]Théologien, philosophe, master en management environnemental, doctorant en Sciences de l'Environnement et Développement Durable en Amazonie de l'Université Fédérale de l'État de l'Amazonas.

[3]Le Diocèse du Xingu était alors une Prélature. En 2019, il a été élevé à la catégorie de Diocèse.

[4]Terme italien signifiant mise à jour, que Jean XXIII a popularisé dans ses discours au concile comme expression du désir que l'Église soit mise à jour à Vatican II.

[5]Le cas d'Anapu, témoigné par l'un des auteurs de cet article.

[6] Informations fournies par Dom Erwin dans l'interview du 16/04/2019. 

[7]Entretien réalisé à Manaus le 11/2019.


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